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du rêve à la réalité ...

Pétrole dans le golfe du Saint-Laurent : 
le rêve et la réalité

 

Des sables bitumineux de l’Alberta aux plateformes d’exploitation en mer de Terre-Neuve, le Canada est riche en hydrocarbures. Il en produit, il en exporte; c’est la clé de sa politique énergétique.

À ce titre, le Québec fait figure de parent pauvre. Une situation à laquelle il tente de remédier en relançant l’exploration de l’énergie fossile à Anticosti et dans le golfe du Saint-Laurent. L’or noir du Québec jaillira-t-il un jour à la hauteur des rêves les plus optimistes? Et avec quels impacts sur l'environnement? Pour répondre à ces questions, une équipe de Découverte est allée voir sur le terrain, sur la terre ferme et en haute mer.

 

Un texte de Jean-Pierre Rogel

Un forage pétrolier conventionnel

Un forage pétrolier conventionnel

Il y a des centaines de millions d’années, des matières organiques en décomposition ont été enfouies et recouvertes d’autres sédiments à Anticosti et ailleurs dans le golfe du Saint-Laurent.

La compaction des couches a généré, à des températures et à des pressions croissantes, d’abord du pétrole, puis du gaz dans les pores de la roche.

Ni Anticosti ni les fonds marins du golfe n’ont été beaucoup explorés à ce jour, avec tout au plus une quarantaine de puits forés. C’est quand même assez pour que la Commission géologique du Canada affirme que la zone représente un potentiel élevé.

Il existe dans cette région ce qu’on appelle des roches mères de bonne qualité. Elles peuvent produire ce que les experts appellent des « systèmes pétroliers ». Ceux-ci peuvent être conventionnels (une sorte de poche contenant du gaz ou du pétrole en profondeur) ou non conventionnels : les hydrocarbures sont alors contenus dans les micropores de la roche et, dans ce cas, il faut alors fracturer la roche pour les libérer.

Pour l’heure, au Québec, on ne parle que de ressources en place, pas de réserves d’hydrocarbures et encore moins de réserves confirmées. Il y a un potentiel, mais qui n’est pas démontré. A fortiori, les quantités exploitables ne sont pas connues.

Revoyez l'émission de Découverte en cliquant ici.

 

Un long processus

Le chemin est long et risqué entre l’exploration et l’exploitation d’une réserve confirmée.

À titre d’exemple, il a fallu forer 42 puits avant de toucher le gros lot, celui qui a permis de mettre en production le champ d’Hibernia au large de Terre-Neuve.

Chaque étape offre la possibilité d’un abandon ou d’un report, que ce soit pour des raisons techniques, économiques ou environnementales.

Dans le contexte québécois, il est logique de se tourner vers Anticosti et vers le golfe du Saint-Laurent. Par comparaison à la Gaspésie, la ressource y serait nettement plus abondante.

« Il faut être réaliste : on n'explore pas dans le but de ne pas exploiter. Donc l'argument selon lequel l'exploration n'est pas tant un enjeu que ça… non. Elle sera automatiquement suivie d'une exploitation, on peut le penser, s’il y a effectivement de la ressource dans les fonds marins. » - Jean-Pierre Revérêt, professeur titulaire au département de Stratégie, responsabilité sociale et environnementale, de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM

 

 

Anticosti

Anticosti est visible dans le golfe comme le nez au milieu de la figure, mais l’île constitue une sorte d’incongruité du point de vue géologique. En fait, avec Mingan, elle fait partie de la province géologique de la plateforme du Saint-Laurent et constitue un prolongement des Basses-Terres du Saint-Laurent (région de Montréal et Québec).

Les formations rocheuses qui affleurent datent d’une période géologique très ancienne : la fin de l’Ordovicien et le début du Silurien, il y a environ 450 millions d’années.

Dans ce sous-sol, il y a un schiste, le schiste de Macasty, qui est prometteur. Il recèle, selon les experts, du pétrole et du gaz; à certains endroits, ce pourrait être seulement du pétrole, tandis qu’à d’autres, seulement du gaz.

 

Des échecs et une relance

Le shale de Macasty

Le shale de Macasty

Il y a longtemps qu’on cherche des hydrocarbures sur l’île d’Anticosti. Entrepris successivement par la Soquip, par Shell, puis par Hydro-Québec, les 19 forages réalisés entre 1974 et 2010 ont été décevants.

En 2007, Hydro-Québec jetait l’éponge et cédait ses permis à la québécoise Pétrolia. Depuis, cette jeune entreprise a repris les travaux exploratoires. Entre-temps, en Amérique, le gaz et le pétrole de schiste ont connu un grand essor, poussé par de nouvelles techniques de fracturation. En 2010, Pétrolia réalisait un forage prometteur au puits Chaloupe, dans le schiste de Macasty. Dès lors, la possibilité qu’il y ait du gaz et du pétrole en quantités très importantes enflammait les esprits.

Une possibilité, mais qu’en est-il vraiment? Pour le savoir, un programme exploratoire systématique a été lancé à l’été 2014 par le nouveau consortium Hydrocarbures Anticosti, mené par Pétrolia, et avec l’appui du gouvernement du Québec, pour 56 millions de dollars.

Après 15 puits dits stratigraphiques cette année, on procédera au forage de trois puits avec fracturation, au plus tôt à l’été 2015. Ce n’est qu’après cela qu’on saura si l’eldorado qu’on fait miroiter à Anticosti existe.

Il restera ensuite de grandes questions économiques. Exploiter le gaz ou le pétrole - ou les deux - sur cette île loin de tout pose de grands défis d’infrastructures, d’exploitation et de transport. L’industrie et le gouvernement du Québec, qui est désormais son partenaire, devront bien calculer la rentabilité avant de s’engager.

« Nous, ce qu'on cherche évidemment, ce sont des "sweet spots" et on veut s'assurer d'être à l'endroit optimum pour récupérer du pétrole. Cette année, on veut se concentrer sur le Macasty et surtout sur sa capacité de production. »- Jean-Yves Laliberté, ingénieur et conseiller scientifique chez Pétrolia
Les permis sur l'île d'Anticosti

Les permis sur l'île d'Anticosti

Anticosti est immense, pas moins de 17 fois l’île de Montréal, et tout son territoire, sauf les aires protégées, est couvert de permis d’exploration.

Pétrolia en détient la majorité, avec ses partenaires Corridor Ressources, de Nouvelle-Écosse, et Maurel & Prom, de France.

Une autre compagnie québécoise, Junex, possède le reste des permis. Elle est en recherche de partenaire et pourrait bénéficier de l’aide de l’État si elle en trouve.

 

Old Harry

De tous les potentiels d’hydrocarbures au Québec, la structure géologique Old Harry, située à 80 km au nord-est des îles de la Madeleine, est la plus prometteuse.

Selon le ministère des Ressources naturelles du Québec, elle contiendrait « des réserves récupérables d’hydrocarbures qui produiraient des quantités de gaz naturel équivalant aux besoins actuels du Québec pendant environ 25 ans ».

La structure d'Old Harry

La structure d'Old Harry

Enfouie à plus de 1000 m sous le fond marin, cette structure géologique de 30 km de long par 12 km de large a la forme d’un chameau à deux bosses.

L’entreprise Corridor Ressources d’Halifax possède les seuls permis d’exploitation de la région. Elle entend explorer en priorité son permis PP 1105, sous juridiction terre-neuvienne et fédérale. Elle possède aussi deux permis contigus au Québec.

Si certains indices laissent à penser qu’il y existe un réservoir conventionnel d’hydrocarbures, il n’y a pas de certitudes puisqu’aucun puits n’y a jamais été foré.

Corridor Ressources voulait le faire et a été arrêtée en plein élan en 2012 par diverses décisions de Terre-Neuve et du gouvernement fédéral. Au même moment, le gouvernement du Québec réaffirmait l’existence d’un moratoire sur l’exploration dans le golfe dans la partie qu’il contrôle, tout cela dans l’attente des conclusions d’une évaluation environnementale stratégique (EES) qu’il avait commandée. L’étude a été rendue publique fin 2013.

Pour le moment, le projet de forage à Old Harry sur territoire terre-neuvien est examiné par l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador sur les hydrocarbures extracôtiers. Cependant, un forage en 2015 reste possible.

Selon le promoteur, Old Harry serait exploré à partir d’une plateforme de type semi-submersible d’une taille moyenne, comme celles qu’on voit dans le golfe du Mexique. Beaucoup de préparation et de soutien logistique. Un projet coûteux, dans les 60 millions de dollars, qui pose, à lui seul, la majorité des questions de sécurité et d’impact environnemental sur le milieu physique et humain.

« Là, il y a réellement un enjeu de voisinage qui est important. Et il y a aussi un enjeu de partage de la ressource. Puisque la ressource elle-même - dont on ne connaît pas encore sa nature, hein? Il faut bien se rappeler de ça, c'est pas clair ce qu'il y a sous Old Harry, elle est partagée entre Québec et Terre-Neuve. Et puis, les réservoirs ne sont pas fermés à la frontière. Donc celui qui va commencer à tirer plus tôt va peut-être tirer une partie de la ressource du voisin. » - Jean-Pierre Revérêt, professeur titulaire au département de Stratégie, responsabilité sociale et environnementale, de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM

 

Déversements : risques et conséquences

Le golfe, une mer intérieure

Le golfe, une mer intérieure

Le chenal laurentien, profond de 350 m, traverse le golfe en son milieu et favorise les échanges d’eau et de nutriments.

Le golfe, véritable mer intérieure de 220 000 km2, possède une biodiversité riche parce qu'il est composé de trois couches d'eau bien distinctes dans lesquelles vivent des espèces différentes.

« [C'est] un système avec une biodiversité supérieure à ce qu'on croit, parce qu'on a trois couches d'eau. Donc vraiment comme trois grands habitats, sans compter tous les microhabitats qu'on peut retrouver à l'intérieur du golfe. » - Phillipe Archambault, océanographe à l’Institut des Sciences de la mer de l’UQAR

La crainte majeure est celle des déversements de pétrole, surtout évidemment d’une marée noire d’envergure. Plusieurs études l’ont montré : toutes les communautés côtières seraient touchées par un déversement accidentel majeur en raison de la circulation des courants dominants dans le golfe.

De ce point de vue, Old Harry est le lieu de tous les dangers en cas de catastrophe pétrolière : central, sillonné par des courants et des vagues de surface, entouré de côtes.

Par ailleurs, l’Étude environnementale stratégique québécoise affirme haut et clair qu’il est important de tenir compte des leçons de l’accident survenu à la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, un défi que l’industrie ne semble pas encore avoir intégré.

« On demande un moratoire, parce que c'est une question de prudence. Il est essentiel pour nous de ne pas agir dans l'urgence, c'est ce que les gouvernements font actuellement. (...) Il faut prendre le temps pour prendre une décision éclairée, une décision respectueuse aussi. » - Danielle Giroux, juriste et cofondatrice de la Coalition Saint-Laurent

Autre constat majeur, l’étude identifie comme une lacune fondamentale le fait qu’on ne possède pas de méthodes de récupération des hydrocarbures en présence de glaces.

 

Quelles sont les côtes les plus à risque?

Simulations d'un éventuellement déversement et trajet des bouées larguées

Simulations d'un éventuellement déversement et trajet des bouées larguées

Et si une nappe de pétrole devait dériver, quels rivages seraient touchés, dans quels délais? Daniel Bourgault et Dany Dumont, de l’Institut des sciences de la mer de l’UQAR à Rimouski, ont récemment publié une première étude indépendante à ce sujet.

Ce qui a attiré leur attention était une étude faite dans le cadre de la demande officielle de forage d’Old Harry.

Le consultant SL Ross concluait que dans un cas de déversement accidentel, seule une petite zone voisine serait touchée et qu’il y aurait évaporation ou dilution très rapide du pétrole.

Pour MM. Dumont et Bourgault, l’étude était faible et bourrée d’erreurs. Ils en ont fait une autre.

Ils ont eu recours à un traceur virtuel. C'est comme s’ils mettaient une quantité x à l’endroit d’Old Harry et qu’ils le laissaient suivre l'eau au gré des courants.

Ils ont simulé des scénarios, un peu comme si c'était des déversements qui dureraient un jour, 10 jours ou 100 jours, cette dernière mesure correspond à peu près au déversement de la station Deep Water Horizon.

Les deux océanographes soulignent que leur recherche est préliminaire, mais que la méthodologie est appropriée.

Quant aux résultats, ils diffèrent nettement de ceux de SL Ross, qui agissait dans ce cas pour le compte de Corridor Ressources.

Les simulations montrent que les côtes de Terre-Neuve, de Cap-Breton et des îles de la Madeleine qui entourent le site de Old Harry, seraient touchées, contrairement à ce que révèle l'étude SL Ross.

Pour tester leur modèle théorique, les chercheurs ont fait appel à Découverte. À leur demande, à 6 h du matin le 29 juin dernier, l’équipe de l’émission a déployé trois petites bouées émettrices sur le site même d’Old Harry.

Les bouées larguées

Elles ont aussitôt dérivé sur la mer, à peine séparées de quelques kilomètres. Douze jours plus tard, elles se sont échouées près de Port Saunders, sur la côte ouest de Terre-neuve.

Cela confirme un des deux trajets principaux prédits par la simulation des chercheurs de Rimouski, mais avec une surprise : la dérive a été beaucoup plus rapide que prévu. De quoi s’inquiéter s’il s’agissait d’une vraie nappe de pétrole!

« Tout écosystème au pourtour d'une zone de forage, à la suite à un déversement, sera affecté à plus ou moins long terme. Immédiatement à cause du rejet, mais éventuellement, tout le pétrole va être accumulé dans les sédiments. Donc l'influence va être immédiate et sur du très long temps à travers la chaîne trophique et éventuellement affecter la pêcherie dans le golfe. » - Phillipe Archambault, océanographe à l’Institut des Sciences de la mer de l’UQAR

 

D’autres études nécessaires

Anticosti

Il faudra d’autres études indépendantes et bien faites pour éclairer le public et les gouvernements.

En attendant, si le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse sont en réflexion, Terre-Neuve a déjà ouvert sa partie du golfe à l’exploration.

Elle vient d’ailleurs d’offrir de nouvelles zones à l’industrie pour l’exploration, au nord d’Old Harry.

De plus, on prévoit d’ici deux ans un doublement du trafic de navires pétroliers dans le golfe, à cause des exportations du pétrole des sables bitumineux de l’Ouest canadien.

C’est comme si une mécanique implacable était en marche dans le golfe. Si on y trouve des gisements exploitables, les premières affectées seront sans aucun doute les populations côtières.

Gaspésie, Anticosti, golfe du Saint-Laurent; la chasse aux hydrocarbures est incertaine et semée d’embûches. Mais le jeu en vaut-il la chandelle?

 

Des drones pour filmer le golfe

Propos de Pier Gagné

Pour filmer l’immensité du golfe Saint-Laurent, des îles de la Madeleine et des falaises de l’île d’Anticosti dans le cadre de son reportage sur les ressources énergétiques de la région, l’équipe de Découverte a travaillé pour la première fois avec des drones. Une expérience qui a permis d’obtenir des images à couper le souffle.

Nous avons demandé à David-Étienne Durivage, de Dizifilms, d’accompagner l’équipe de tournage dans le golfe avec ses exacoptères S800 EVO. Ces appareils sont solides, performants et capables de résister aux grands vents, si fréquents dans ces vastes espaces.

Les drones de David-Étienne possèdent des trains d'atterrissage escamotables, des hélices à pales repliables et un GPS. En fait, il s’agit d’une génération de plateforme hex-rotor qui a été conçue pour la photographie aérienne. Ils mesurent 80 cm de diamètre, et peuvent peser jusqu'à 6 kilos, dont 2 kilos de matériel.

Sur le plan énergétique, la batterie du S800 EVO se décharge après 15 minutes de vol. Donc tous les plans utilisés dans le reportage ont été calculés en fonction de la durée de la batterie. Pas de risque à prendre dans le golfe du Saint-Laurent ou encore au-dessus de la chute Vauréal à Anticosti!

Pour manoeuvrer un drone, il faut deux personnes : un pilote et un cadreur. C’est David-Étienne qui était le pilote, et notre caméraman, Jérôme Voyer-Poirier, était le cadreur.

De plus, pour faire voler un drone au Canada, il faut absolument avoir la permission de Transports Canada. Ainsi, pour réaliser le tournage dans le golfe Saint-Laurent, aux îles de la Madeleine et à l’île d’Anticosti, David-Étienne a obtenu deux certificats d’opérations aériennes spécialisées (COAS).

 

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Plein écran

 

Crédits :

Réalisateur : Pier Gagné

Journaliste : Jean-Pierre Rogel

Caméramans : Jérôme Voyer-Poirier, William Bastille-Denis, Philippe Grenier

Opérateur du drone : David-Étienne Durivage, Dizifilms

Preneur de son : Éric Celton

Monteur : Sylvie Malard

Infographie : Christian Goupil

Images sous-marines : Jérôme Voyer-Poirier

Effets sonores : Stéphane Labeaume

Mixage sonore : François Rainville

Remerciements : Marcel Cormier, capitaine, et Yvon Duchaine, consultant en géologie pétrolière

Journaliste web : Alain Labelle

Intégration web : Evguenia Kossogova




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